Après Sagesse d’Onfray est venue naturellement la relecture des pensées de Marc Aurèle et du manuel d’Épictète. Inévitablement, les idées stoïciennes se rappellent à nous. Elles ont toujours été là. Elles relèvent du bon sens et de la sagesse. Remémorant que le lâcher prise est un des principes du bien-être.
Situer les zones sur lesquelles un individu peut agir : ce qui est en son pouvoir, ce sur quoi il a un contrôle ; définir ce qui ne dépend en rien de lui et qui représente des zones sur lesquelles il doit lâcher prise afin de ne pas générer de souffrance.
Cette clé de lecture est la philosophie du portique, le stoïcisme. Elle remet à sa juste place les théories « New age » et autres déviances du développement personnel. Comme par exemple la loi de l’attraction.
Lâcher prise
Il y a ce sur quoi nous avons une influence, ce qui dépend de nous… Et il y a tout le reste ! Tout ce qui ne dépend pas de nous, sur lequel de fait nous n’avons aucun contrôle. Ce sur quoi il convient de lâcher prise pour ne point souffrir en vain. Ainsi, gare à la méthode miracle, la recette de cuisine. Il y a surtout des nuances, dont beaucoup nous échappent. Elles s’appellent risque, incertitude. La variante humaine est la souffrance créée à s’opposer à cette réalité. Accepter l’incertitude de la réalité s’appelle lâcher prise.
Ci-dessous un témoignage, critique sincère de la loi de l’attraction et autres théories « New age » qui relèvent parfois plus du religieux que de la philosophie. La différence entre les deux ? Le pragmatisme. Les magiciens, les alchimistes, ce sont les stoïciens, entre autres personnes solidement ancrées dans la réalité. Ceci ne signifie pas que l’attraction n’existe pas, mais qu’il y a un business autour de cette loi.
Il me semble que la reconnaissance d’un monde plus grand que soi, un Soi connecté au tout, induit l’humilité, qui à son tour nourrit le lâcher prise. Pour cela, il est nécessaire de faire le voyage intérieur pour se connaître soi-même ou d’être et demeuré connecté à la nature. Voire les deux.
En effet le lâcher prise équivaut à accepter de ne pouvoir tout contrôler. Accepter le risque inhérent à la vie. Accepter l’incertitude. Tant de choses qui déplaisent à l’ego.
En somme, lâcher prise c’est dompter l’ego. Accepter de perdre son identité, ou du moins se désidentifier de tout ce que l’on n’est pas. Difficile à intégrer avant que cela ne devienne évident. Le plus ardu restera l’application, une vigilance parfois sereine, parfois tumultueuse, qui demeure un fil rouge.
En pratique, il s’agit d’apporter de la conscience dans la vie quotidienne. La conscience de l’instant présent, car la clé du lâcher prise est l’instant présent.
« Ne te laisse pas troubler par l’imagination de toute ta vie : n’embrasse pas en pensée les si grandes et si nombreuses épreuves qui te seront survenues probablement ; mais à chacune des épreuves présentes demande-toi : ”Qu’y a-t-il là d’insupportable et d’intolérable ?” » – Marc-Aurèle.
La conscience de l’instant présent
Le passé et l’avenir ne sont pas sous notre contrôle. Pour les stoïciens, ils représentent des éléments indifférents. Le moment présent est tout ce que chacun possède. Écoutons encore le boss, Marc-Aurèle :
« … on ne peut perdre ni le passé ni l’avenir ; comment en effet pourrait-on vous enlever ce que vous ne possédez pas ? »
Le passé est révolu. L’avenir ne peut être influencé que par les actions que nous entreprenons ici et maintenant. C’est pourquoi les stoïciens disent que nous devons être ancrés dans le moment présent et nous concentrer sur ce qui est réel et tangible.
Le pouvoir est dans le présent
Tout le pouvoir que nous avons se résume à ce moment précis. C’est maintenant que nous pouvons contrôler nos choix et jamais à aucun autre. La seule fenêtre d’action à la création est… maintenant !
Seules nos pensées et nos actions volontaires sont sous notre contrôle, et seulement en ce moment même.
Si nous voulons, à chaque instant, exprimer notre personnalité la plus aboutie, alors nous devons être conscients de nos actions dans le moment présent.
Cette pleine conscience est une condition préalable à la pratique du stoïcisme.
Reprendre le contrôle du présent
Le conflit intérieur est le suivant : nous analysons mentalement en ressassant. Nous nous laissons emporter par nos pensées sur le passé ou sur l’avenir. Pendant ce temps, nous perdons le contact avec l’ici et le maintenant, donc avec la fenêtre de création. Avec le champ des possibles.
Ceci est la principale raison pour laquelle nous nous sentons submergés. Contrairement aux animaux pour qui le temps n’existe pas, nous nous inquiétons des événements passés ou de ceux à venir alors que dans les deux cas, ils échappent à notre contrôle. Écoutons Sénèque :
« Les bêtes prennent la fuite devant le danger visible ; hors de danger, elles retrouvent la quiétude. Nous nous tourmentons, nous, et de l’avenir et du passé. »
Il convient d’apporter quelques nuances ici. Une visualisation (donc projection mentale d’une situation, d’un scénario, sorte d’expérience de pensée) permettant l’anticipation, la proaction, un réflexe conditionné adapté, ou encore l’aboutissement d’un raisonnement, n’entre pas dans les dispositions nuisibles. Au contraire. La préparation qui engendre une pensée ou une action adaptée dans le moment présent est une grande force. C’est bien du tourbillon des pensées inutiles dont nous devons nous garder.
Nous devrions essayer de nous reprendre lorsque nous nous sentons submergés en nous demandant : « ici et maintenant, quelle est la tâche à accomplir et pourquoi semble-t-elle insupportable ? » Ainsi le stoïcisme rejoint directement la pensée d’Eckart Tollé avec le pouvoir du moment présent.
Autrement dit, lorsque vous gravissez une montagne, plutôt que de regarder le sommet, faites un pas après l’autre.
Si vous êtes capables de vous concentrer sur le moment présent, de l’isoler, les moments difficiles deviendront plus faciles à supporter et à gérer car ils n’existent pas dans cet instant.
Remettre en cause
Le stoïcien est sceptique de nature. Il se concentre sur le présent, et ne se laisse pas distraire par le passé ou le futur. C’est la seule façon de remettre en cause (y compris ses propres impressions) et de regarder la situation avec objectivité, d’accepter avec équanimité ce qui n’est pas sous son contrôle et de choisir d’aligner ses actions avec ses valeurs les plus profondes comme la sagesse, la justice, le courage et la tempérance.
Plus nous parviendrons à nous concentrer sur le moment présent, plus nous serons attentifs à nos actions immédiates, et plus nous serons susceptibles d’exprimer le meilleur de nous-même. Et cela sera suffisant.
Sagesse
Nous arrivons inexorablement à cette ritournelle selon laquelle n’existe aucune formule magique. Seule compte l’expérimentation de la vie. La sagesse et le lâcher prise portent une idée commune : chercher est vain. Lâcher prise permet l’accès à l’Être. À ce qui est, au présent. Il y a infiniment plus de sagesse dans la connaissance de soi-même que dans la réponse à n’importe quelle question philosophique, ontologique, et autre métaphysique.
Lisons quelques extraits de Siddhartha, roman philosophique de Hermann Hesse :
Rien ne fut, rien ne sera ; tout est, tout a sa vie et appartient au présent.
La sagesse ne se communique pas. La sagesse qu’un sage cherche à communiquer a toujours un air de folie.
Le Savoir peut se communiquer, mais pas la Sagesse. On peut la trouver, on peut en vivre, grâce à elle, opérer des miracles, mais quant à la dire et à l’enseigner, non, cela ne se peut pas. C’était ce dont je me doutais parfois quand j’étais jeune homme et c’est ce qui m’a fait fuir les maîtres.
Tout ce qui est pensée est unilatéral et tout ce qui est unilatéral, tout ce qui n’est que moitié ou partie, manque de » totalité « , manque d’unité ; et pour le traduire il n’y a que les mots.
Peu à peu se développait et mûrissait en Siddharta la notion exacte de ce qu’est la Sagesse proprement dite, qui avait été le but de ses longues recherches. Ce n’était somme toute qu’une prédisposition de l’âme, une capacité, un art mystérieux qui consistait à s’identifier à chaque instant de la vie avec l’idée de l’Unité, à sentir cette Unité partout, à s’en pénétrer comme les poumons de l’air que l’on respire.
La sagesse ne s’enseigne pas, elle se construit. Celui qui la cherche ardemment, à tout prix, ne trouvera point. Elle n’est ni dans les livres, même si elle peut y figurer, ni dans le savoir ou la connaissance, même si elle y apparaît. Elle n’est pas entre l’individu et le monde, mais dans les deux à la fois.
La sagesse passe par le lâcher prise. Par la désidentification de tout ce que l’on n’est point (croyances, ego, etc.) pour se trouver dans tout ce qui est. Dans l’Unité. Oui, la sagesse est la reconnaissance de l’Unité. Que Tout est Un et Un est Tout. Que la dualité est une invention humaine. A-t-elle donné naissance au temps en imaginant la séparation du corps et de l’esprit ?
Alors si la sagesse ne s’enseigne pas, le lâcher prise se peut-il ? Si tel est le cas, non seulement il ouvre la voie, mais il est un pont entre l’Unité et la dualité. Or, il me semble que le stoïcisme apprend à construire ce pont.
Souvenons-nous que la sagesse est le bien suprême pour Spinoza. Comme Bruno Giuliani le rappelle dans sa version de L’Éthique : il est impossible d’atteindre une quelconque sagesse sans commencer par bien se connaître soi-même et il est impossible de bien se connaître soi même sans connaître la totalité de la nature dont nous ne sommes qu’une partie.
Pour conclure, le stoïcisme résumé en une citation du patron :
« Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre. »
- Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé : lâcher prise.
- Le courage de changer ce qui peut l’être : l’action, le pouvoir du présent.
- La sagesse de distinguer l’un de l’autre : le discernement, savoir écouter, observer, sentir.
Lâcher prise sur le passé et l’avenir, reprendre le contrôle du présent, et par la présence apprendre à lire le monde. La sagesse ne se trouve pas en cherchant, mais en écoutant, la conscience.
Bonjour Fabien.
Ton article tombe bien pour moi car je suis entrain de lire « Le goût de vivre » d’André Comte-Sponville ( et 100 autres propos). Excellent comme toujours!
A bientôt j’espère.
Merci Françoise pour ce commentaire. Exister davantage ! à bientôt !