Se contenter. Être heureux avec ce que l’on a. Ne pas systématiquement chercher plus. Faire sa part. Tant de chemin vers la sobriété heureuse de Pierre Rabhi, auquel nous rendons hommage par une question aussi simple que profonde, sur laquelle cet homme nous a guidés. Combien est assez ?
Tout d’abord, l’idée de sobriété comme condition au bonheur n’est pas jeune. Pierre Rabhi était un grand amoureux de la nature et de sa pureté, un sage qui puisait largement son inspiration auprès d’un certain Socrate. Je sais que je ne sais rien, et connais-toi toi-même, signifiaient beaucoup pour lui.
Je sais que je ne sais rien comme peut-être la seule vérité, et le connais-toi toi-même en ce qu’il représente le début de la conscience et ainsi de la reconnaissance de la nature, de notre nature. Et in fine de l’humilité.
Connais-toi toi-même était, d’après les dialogues de Platon notamment, le plus ancien des trois préceptes gravés à l’entrée du temple d’Apollon à Delphes. Or parmi ceux-ci figure, d’aucuns la nomment seconde maxime, Rien de trop. N’est-ce pas là une invitation limpide au minimalisme, à l’équilibre, cinq siècles avant notre ère.
Alors mais que s’est-il passé ? Combien est assez ? Un ancien, un sage, et sans doute Coluche, répondraient : assez ? C’est quand il n’y a Rien de trop.
De notre question, Sénèque s’enquérait dans ses Lettres à Lucilius : « Préfères-tu donc, à une pauvreté qui rassasie, une abondance famélique ? La prospérité est avide, et en butte à l’avidité d’autrui. Tant que rien ne t’aura suffi, toi-même tu ne suffiras point aux autres. » – Lettre XIX.
Il y a dans la conception de la sobriété heureuse de Pierre Rabhi, deux idées majeures : celle du bonheur et celle de la tempérance, associées. Voire condition de l’autre. La modération, l’équilibre, comme conditions du bonheur.
Une vision fort divergente de celle qui est servie au 21ème siècle. Toujours plus, la croissance, s’arracher pour atteindre des sommets, dépasser tout le monde dans un référentiel matériel. Vous connaissez le refrain.
Or, cette course effrénée mène à une déchéance spirituelle. En effet, la seule chose qui compte et qui est, est notre temps de vie. Soit le moment présent. Seule l’expérience de celui-ci vaut. Toute autre pensée nous sort de l’humilité, créant un temps psychologique sur lequel nous estimons avoir un contrôle (générateur de souffrance) alors que nous sommes autant insignifiants pour l’univers que créateurs de notre réalité. Comme en physique, tout est une question de référentiel.
Le minimalisme, ou l’art de vivre à choix minimal, qualifié d’outil philosophique par Tim Ferriss dans la semaine de 4h, est fortement négligé. Il démultiplie la satisfaction et les résultats tout en simplifiant la vie. Comment ? En ne consommant ni ne détournant notre attention du présent, de l’action, et de la seule chose qui vaut et existe, le moment présent. En cela la vision du lâcher prise, de l’acceptation et de l’amour du moment présent, est fondamentale.
Cependant, le contentement n’empêche pas de se fixer des objectifs pour grandir et se développer. Des choses qui nous apporteront beaucoup de sentiments positifs. C’est à travers les objectifs que se manifeste la seconde vision, celle du travail et de l’effort pour évoluer. Une clé à ne pas perdre : ces objectifs doivent être alignés avec des valeurs, fondés à partir d’une situation de bonheur relative au moment présent.
Cette idée de minimalisme salutaire, moins est plus comme nous l’avons vu dans la productivité du plâtrier siffleur, se retrouve partout. Dans l’activité cérébrale : moins de choses à penser, plus d’attention pour ce qui est important. L’action. Dans la course à pied : moins de compensation, moins de problèmes physiques (pieds-nus l’essence même du mouvement). Dans la cuisine : moins de transformation, plus sein pour l’organisme. En somme, le plus simple le mieux. La nature est plus parfaite sans notre aide ni consultation.
Ceci nous ramène encore vers la sobriété heureuse de Pierre Rabhi. Faire le choix de la simplicité et de la sobriété pour un épanouissement durable et sensé qui touche à la notion d’indépendance financière très présente dans la blogosphère anglophone, et qui lève notre question : combien est assez ? (pour aller plus loin sur cette question et vers l’indépendance financière lire your money or your life.)
Une question si puissante qu’elle devrait faire partie de notre introspection à qui aurait l’ambition de s’améliorer. Elle revient à faire l’effort de définir ce qui est assez pour soi.
Une visualisation salutaire qui fixe une mesure et un caractère raisonnable au matériel, permettant ainsi de jouir simplement de celui-ci, au lieu qu’il ne nous possède.
Nassim Taleb dans anti-fragile exprime l’indépendance financière ainsi : l’argent de la liberté. À la question combien est assez, il répond ceci : « Une somme assez importante pour obtenir sinon tous, du moins la plupart des avantages de la richesse (le plus important étant l’indépendance et la capacité de n’avoir à l’esprit que des sujets qui vous intéressent), mais non des effets secondaires, comme de devoir porter une cravate noire à une soirée de bienfaisance et d’être forcé d’écouter la présentation courtoise et détaillée de la rénovation d’une maison riche en marbres. Le pire effet secondaire de la richesse est le réseau social qu’elle impose à ses victimes, car les gens qui possèdent de grandes maisons finissent souvent par fréquenter d’autres propriétaires de grandes maisons. Au-delà d’un certain niveau d’opulence et d’indépendance, les richissimes tendent à devenir de moins en moins sympathiques, et leurs conversations de moins en moins intéressantes. »
L’un des clins d’œil de Taleb à Sénèque. N’hésitons pas à le relire encore, au risque de nous en souvenir. Encore mieux, le mettre en pratique.
Nous espérons que la prépondérance de cette question est désormais plus claire. Demandons-nous, combien est assez ? Savoir poser cette question empêcherait sans doute de connaître le prix de tout et la valeur de rien.
Nous avons commencé ce texte en mentionnant que cette idée n’est pas jeune. Aussi, nous noterons non seulement qu’elle traverse les époques, mais qu’elle anime d’autres penseurs contemporains. Sylvain Tesson dans la panthère des neiges et notre rapport au temps qui est une dérivée de notre questionnement sur l’équilibre de la satisfaction. Ou plutôt la satisfaction de l’équilibre.
Au « tout tout de suite » de l’épilepsie moderne, s’opposait le « sans doute rien » de l’affût. Ce luxe de passer une journée entière à attendre l’improbable.
Qui serions-nous si nous cultivions l’amour du « sans doute rien » ? Celui de ne rien attendre que ce qui est. Comment cela changerait-il notre façon de rencontrer, de voyager, de consommer ? Serions-nous plus heureux sans cette attente insatiable ? Ne rien attendre est le meilleur moyen de vivre à choix minimal. Une idée simple mais intensément fertile, comme bien souvent dans la recherche du bonheur.
Combien est assez ? La simplicité est assez. La sobriété heureuse, comme l’a magnifiquement ciselé Pierre Rabhi. Il existait jadis une idée pour définir le juste combien et la joie d’assez : la frugalité. Un mot dont le sens a dérivé en même temps que les valeurs (et les priorités).
Ainsi, souhaitons que la sobriété heureuse soit un jour une évidence. Un pléonasme au lieu d’un oxymore.
En effet, des valeurs dénaturées ou absentes, le sens des mots dérivé, voire retourné, sont caractéristiques d’une société malade. Or, « ce n’est pas un signe de bonne santé mentale d’être bien adapté à une société malade » pour citer Jiddu Krishnamurti, qui inspira Pierre Rabhi.
Que dire des jours que nous observons à travers la COVID-19. « Plus l’effondrement d’un empire est proche, plus ses lois sont folles. » – Cicéron. Et en même temps, comme dirait l’Autre, ne serait-ce pas un mal pour un bien ?
Pour conclure, à Monsieur Pierre Rabhi le mot de la fin :
« Il nous faudra bien répondre à notre véritable vocation, qui n’est pas de produire et de consommer sans fin, mais d’aimer, d’admirer et de prendre soin de la vie sous toutes ses formes. »
Merci.
Oui un bien utile article pour ceux qui veulent se questionner.Avant l’infirmier, l’agriculteur, le plombier, le garagiste avait une dignité de leur fonction et de ce fait un contentement de leur état, et puis dans les années 80 il a fallu « devenir riche », le modèle type broker en 3 pièces ou le releveur de sociétés en banqueroute Tapie ont détruit la valeur culturel du travail , on pouvait obtenir tout désir par l’arrogance du virtuel et du pipo! Combien assez devient clair quand on sait qui on est et qu’on l’intègre, hors on manipule à souhait l’identité et le désir… Lire la suite »
Fred,
Merci pour votre participation, ainsi que votre retour. Au plaisir.