Qu’est-ce que le mouvement animal, « animal flow » en anglais, que nous voyons s’inviter dans les pratiques d’entraînement sportif? De drôles de mouvements qui peuvent sembler ridicules de l’extérieur. Sont-ils une mode? un nouveau sport? De l’intérieur, par la pratique et donc en connaissance de cause, ils présentent une autre profondeur. Voyons ce que ces mouvements apportent au corps physique et ce qu’ils réveillent sur le plan psychique.
Si Instagram et YouTube regorgent désormais de vidéos de mouvement animal, il convient de saluer les pionniers de cette démocratisation naissante. Nous pouvons citer Ido Portal et sa culture du mouvement ou encore le finlandais Eero Westerberg. Le « animal flow » aurait été créé par l’américain Mike Fitch pouvons-nous lire sur le web. Peut-être a-t-il été le premier à en faire un programme d’entraînement et lui donner ce nom. Il n’en demeure pas moins que l’imitation du mouvement animal dans la locomotion humaine existe depuis des millénaires, pour ne pas dire toujours. Sans rappeler que nous-mêmes sommes des mammifères.
Faisons tout d’abord un peu de généalogie.
D’où vient le mouvement animal ?
Les origines du Kung-fu (je vous invite à lire mon voyage au coeur du Kung-fu Shaolin), souvent considéré comme le père des arts martiaux asiatiques, remonteraient au 6ème siècle de notre ère. Cet art s’inspire des animaux vivants dans la nature tels que le tigre, la grue, le serpent ou le léopard et puise dans l’imaginaire avec le Dragon. D’autres styles verront ensuite le jour tel que l’aigle, la mante religieuse, le singe et l’homme ivre.
Or le Kung-fu tire probablement lui-même ses origines dans les arts martiaux indiens qui remonteraient au minimum au 2ème siècle avant notre ère. Le Kalaripayat serait né il y a plus de 3 000 ans! Époque qui correspond à l’antiquité en Europe, durant laquelle la Grèce pratiquait déjà le pancrace. Ce sport olympique antique est très proche des arts martiaux mixtes aujourd’hui… (les premières traces écrites du pancrace remontent à 648 avant JC).
En Inde toujours, parmi les postures les plus anciennes nous retrouvons Adhomukhashvanasana ou posture du chien la tête en bas, Bhujagasana ou posture du cobra. L’origine du yoga pourrait aussi se situer au cours de l’antiquité. Il est possible qu’il soit à l’origine de la forme interne des arts martiaux. Il reste du moins difficile de conclure qu’il n’existe pas de tel lien. Tout comme celui-ci peut être étendu à la méditation.
Au Pancrace comme au MMA, les frappes (percussions) et la lutte (préhension) amenant les clés et étranglements, sont les deux modes de combat que nous retrouvons dans le règne animal. Si le buffle percute, le python étouffe. Parfois les techniques sont combinées. Le gorille lutte, frappe et mord. Le kangourou boxe pieds-poings et projette. Les grands fauves frappent, déchirent, saisissent et étranglent.
En Chine, dans les années 100 à 200 (dynastie Han) vécut le médecin Hua Tuo qui élabora le jeu des 5 animaux. Il soutenait que pour vivre longtemps en bonne santé, le corps devait être en permanence en mouvement. Ainsi il fallait se tordre le cou comme les hiboux. S’étirer comme les animaux savent le faire spontanément. Il écrivit à son disciple:
« Le corps humain a besoin de travailler mais il ne faut pas l’épuiser. Si on le secoue, le souffle des céréales se dissout, le sang circule bien, les cent maladies n’apparaissent pas; comme le gond d’une porte qui ne pourrit jamais. Dans le daoyin (littéralement conduire et étirer), l’ours se suspend et le hibou regarde autour de lui, on étire et on fléchit la taille; on bouge chaque articulation afin de faire reculer le vieillissement. J’ai une technique qui s’appelle le « Jeu des cinq animaux »; le premier s’appelle le tigre, le deuxième le cerf, le troisième l’ours, le quatrième le singe, et le cinquième l’oiseau; elle sert à chasser les maladies et elle est bénéfique pour les membres inférieurs. Lorsque le corps ne va pas bien, exécutez le jeu d’un animal jusqu’à sudation, enduisez-vous de poudre, le corps devient léger et vous recouvrez l’appétit. »
Sur chaque continent de la planète, depuis des milliers d’années, l’homme a observé la nature, et donc les animaux, pour s’inspirer et développer ses techniques en fonction de sa nature. Une double observation, à la fois intérieure et extérieure. Alors désolé Mike mais a priori tu n’as pas « créé » le mouvement animal. Tu lui as simplement donné un nom et promeus son intégration dans la pratique du fitness. Si l’on ne peut nier une force américaine, il s’agit du marketing.
À ce stade nous comprenons que c’est notre perception qui est ridicule. Le mouvement animal a en effet toujours été là. Cependant nous pouvons nous réjouir de son retour sur le devant de la scène. Voici pourquoi.
En quoi consiste le mouvement animal ?
Les pratiques dites « Animal flow » ont de bonnes raisons de fleurir à nouveau. Elles consistent à se mouvoir selon une certaine forme animale. Les classiques sont la marche de l’ours, le crabe, le gorille, le chimpanzé, le lézard, la grenouille, le lapin, le tigre, etc. Elles n’ont de limite que notre imagination et l’observation de la nature. Essayez-les et vous verrez que le côté ludique est loin d’être son seul atout.
Tout d’abord il s’agit d’un entraînement minimaliste: aucun équipement n’est requis. Seule la technique poids du corps, la relation avec la gravité durant le déplacement, importe. Il constitue donc un travail d’équilibre.
De fait, la pratique du mouvement animal vous amène à reconnecter avec le sol. Je ne m’en rends plus compte aujourd’hui mais laissez-moi vous décrire mon sentiment lorsque j’ai découvert le jiu-jitsu brésilien. Plus largement, et surtout, lorsque j’ai commencé à m’entrainer au sol. Que ce soit pour le grappling ou simplement pour le mouvement. Allonger au sol, faire des levers de bassin, rouler, se déplacer à quatre pattes (quadrupédie), se déplacer sur le dos en utilisant uniquement le mouvement des hanches, etc.
Cette (re) connexion avec la terre est une dimension que nous avons, pour la plupart d’entre nous, totalement oubliée. Nous l’avons laissée derrière en quittant l’enfance et en nous engouffrant dans le monde dit « adulte ». Parce qu’un adulte ne marche pas à quatre pattes. Nous, adultes, faisons des choses sérieuses. Jusqu’à ce que nous soyons 14h par jour sur une chaise devant un écran avec des lunettes, des kilos en trop et un mal de dos irrécupérable, à faire des choses dont nous-mêmes ne savons plus à quoi elles servent.
Je me souviens d’un profond bien-être lorsque j’ai recommencé à m’allonger à même le sol. Mon dos décompressait. Sentir les mains agripper le bois, l’herbe, la terre. Porter son poids sur quatre membres. Toutes ces choses manquaient à ma vie et pourtant la dose quotidienne de sport et de mouvement était copieuse. Ce n’est pas tant le combien, mais le comment qui compte. Ce contact avec le sol m’est apparu aussi évident qu’essentiel. Aujourd’hui tout ceci est normal pour moi, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Une chose est certaine, je ne laisserai plus cette dimension m’échapper.
Aussi ai-je le souvenir de découvrir un nouveau monde. Revenir d’un long voyage avec de multiples aptitudes nouvelles mais devoir réapprendre ce qui est nécessaire pour bien être. Imaginez le sentiment d’un enfant face à un vaste terrain de jeux inconnu à explorer. Partagé entre l’excitation et la peur. Telle est la promesse de la reconnexion avec le sol.
Le mouvement animal vous mènera à exécuter de nouveaux gestes et développer la coordination. Il s’agit d’une pratique mobile, ainsi vous améliorerez votre mobilité et solliciterez des muscles profonds peu recrutés dans le quotidien moderne. Ceci aura pour effet d’améliorer la santé articulaire et renforcer le corps. À raison de seulement 5 à 10 minutes par jour, en jouant avec le sol vous pouvez ramper, vous allonger, glisser, sauter, improviser et surtout laisser libre cours à votre imagination!
L’autre dimension majeure de cette pratique est l’aspect psychologique. Une fois libéré du regard des autres, étape qu’il convient d’abord de franchir, la liberté de mouvement et de penser donne libre cours à l’intuition et à l’instinct animal. Je vous assure qu’on se prend au jeu. Vous pourrez observer les pratiquants, les puristes comme Eero Westerberg, lorsqu’ils se déversent dans leur pratique, sont l’animal qu’ils incarnent. Or si nous sommes des humains, nous naissons mammifères et avons cette part animale en nous. Il me semble que le mouvement est un moindre mal pour la satisfaire.
La dimension spirituelle du mouvement animal est intéressante. Il y a au-delà de l’exercice, une forme de connexion avec la nature. La pensée tend vers l’animal et appelle la créativité puisque nous ne sommes pas cet animal. Le rapprochement entre l’imagination et la réalité est une réalisation édifiante. On note souvent un problème premier de synchronisation qui se règle au fil de la progression. Le cerveau est fait pour le mouvement. Il se délecte. Ainsi en entrainant votre corps vous le nourrissez.
Enfin, se rapprocher du sol enlève une part d’appréhension en diminuant la peur de chuter, de se blesser, la peur d’un sol dur, etc. Un poids sournois dans la peur de vivre. Stimuler l’instinct animal pourrait vaincre la peur de se réaliser humainement. Il fait partie de nous. Aussi pouvons-nous choisir de l’utiliser à bon escient, ou le refouler.
Le mouvement animal est une pratique puissante. Outre un entraînement physique performant et complet, elle favorise une meilleure locomotion. Ce renforcement, associé à la connexion avec le sol, ouvre le monde des possibilités, de la confiance en soi aux connexions neuronales. Le retour de la conscience est en mouvement. Qu’il est plaisant de la regarder progresser dans l’univers du fitness.
Une formule simple pour résumer le mouvement animal, et toute autre forme de « free flow » alliant déplacement, poids du corps et expression:
force + mobilité = liberté
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Chapeau pour ces vidéos! Bel exemple pour tous.
Suivant l’âge, je me vois bien faire ces exercices sur le sable.
Merci pour tous tes conseils.
MJ
Avec joie! Merci pour le message.